Evaluer un projet de cession d’entreprise de façon optimale
On 15 juin 2020 by Alexandre TellierCet article est un retour d’expérience sur les méthodes que nous utilisons et qui sont pratiquées par les intermédiaires dans le cadre de cession de PME. Il ne s’agit pas ici de prétendre à l’universalité de la méthode mais de décrire une pratique couramment appliquée et qui est plutôt pragmatique.
Nous aborderons le sujet de l’évaluation d’une PME, dans le cadre d’une cession, c’est-à-dire dans le cadre d’une transaction. Il ne s’agit pas de déterminer combien vaut l’entreprise dans l’absolu mais à quel montant elle pourra être vendue.
Evaluer une PME dans le cadre d’une transaction à venir revient à tenter de s’approcher le plus possible d’une valeur de marché. Celle-ci correspondra à ce qu’un acheteur est prêt à payer, à ce qu’un vendeur est prêt à recevoir et…à ce qu’une banque est prête à financer. En effet, les résultats des méthodes d’évaluation les plus brillantes devront forcément passer sur le grill de la faisabilité du montage financier à réaliser pour financer l’opération.
Evaluer, dans ce contexte, ce n’est pas simplement poser un intervalle de valeurs, c’est également évaluer le package qui peut être souhaité par le cédant. Ce package comprendra, de façon non exhaustive : Le prix souhaité, le niveau de trésorerie correspondant à ce prix, le sort des membres de la famille travaillant dans l’entreprise, l’impact sur le prix des éventuelles indemnités de départ de ceux-ci, le sort du bail en cours si le cédant est propriétaires des locaux, la durée et la rémunération de l’accompagnement…
La première étape de l’évaluation ne consiste pas à aligner des chiffres mais à réaliser un diagnostic.
En effet, le calculatoire sur lequel on a trop tendance à se focaliser n’est que le dernier maillon de la chaine de l’évaluation. Dernier maillon qu’il faut cependant maitriser, en mettant de côté les logiciels d’évaluation ou autres outils qui ne donnent bien souvent qu’une valeur technique et pas une valeur de marché.
Les objectifs du diagnostic sont les suivants :
- Déterminer le type de repreneur vers lequel s’orienter
- Identifier les retraitements à réaliser pour passer d’un résultat comptable à un résultat économique
- Identifier le multiple à retenir pour le calculatoire
La première phase du diagnostic consiste à apprécier les facteurs clés de succès de l’entreprise. Cela peut paraitre un peu théorique mais c’est terriblement efficace de se poser ce type de question : Quels sont les ressorts de la performance de l’entreprise aujourd’hui ? Comment anticipe-t-on l’évolution de ces ressorts demain ? On va analyser les forces et faiblesses (internes à l’entreprise), c’est-à-dire principalement son organisation et son ADN et les opportunités et menaces (externes à l’entreprise), c’est-à-dire la possibilité d’arrivée de nouveaux entrants, de produits de substitution ou de changement de règlementation. Ce type d’analyse n’est pas l’apanage des grands cabinets de conseil en stratégie qui vont débarquer à plusieurs pendant des jours dans l’entreprise. Elle peut être réalisée en quelques heures d’entretien entre le conseil et son client.
La deuxième phase du diagnostic consistera à évaluer le degré de dépendance de l’entreprise vis-à-vis de son dirigeant : Est-il un homme-orchestre ou un chef d’orchestre ? Si un dirigeant est omniprésent et a mis en place un mode de fonctionnement non reproductible, il y aura des retraitements qui viendront diminuer le résultat comptable. Il faudra peut-être procéder à une ou des embauches pour le remplacer. Il est illusoire de s’attendre à ce que « comme ça a fonctionné comme ça, ça fonctionnera de la même façon avec le repreneur… »
Cette phase comprend également l’identification de la culture d’entreprise pour bien identifier le type d’acquéreur vers lequel s’orienter. Nous ne détaillerons pas cette démarche.
La phase suivante consiste à identifier les zones de dépendance : Dépendance à un client, à un produit ou une gamme de produit, à un fournisseur, à un salarié.
Ensuite on pourra passer à l’évaluation.
Rappelons que l’objectif de celle-ci est de d’approcher une valeur de marché en fixant un intervalle de valeurs.
Cependant l’évaluation ne sert que de base à la négociation qui fixera le prix de vente. C’est pourquoi il ne faut pas être ni trop haut, ni trop bas.
Une évaluation dépend de critères qualitatifs (le diagnostic) et quantitatifs (les résultats retraités à partir du diagnostic). Elle combine donc une expertise métier (celle du dirigeant cédant) et une expertise financière. Elle doit être basée sur des éléments financiers récents.
Dans le cadre de l’évaluation nous voyons généralement appliquée la méthode des multiples.
En effet les méthodes patrimoniales sont bien souvent des méthodes employées par défaut quand la cible n’est pas ou peu rentable. Quant à la valeur de la clientèle, inclue dans la méthode patrimoniale, elle ressemble bien souvent à une valeur d’ajustement pour justifier la différence entre le prix souhaité et le montant des fonds propres. Son calcul est souvent présenté comme un pourcentage du chiffre d’affaires. Dans les dossiers qui nous sont présentés, quand nous sommes du coté de l’acheteur, nous avons bien souvent l’impression que le pourcentage du CA retenu pour évaluer la clientèle dépend de la valeur attendue de la clientèle qui dépend elle-même de la valeur attendue des titres. Nous n’aborderons pas le calcul de la valeur de la clientèle. Il faut quand même avoir à l’esprit qu’il est difficile dans une négociation d’expliquer que la clientèle vaut une fortune quand la société ne gagne pas ou peu d’argent.
La méthode des multiples consistera à évaluer la valeur d’entreprise d’une part et à évaluer la trésorerie nette d’autre part pour aboutir à la valeur des titres.
Afin d’évaluer la valeur d’entreprise, on appliquera un coefficient à un résultat retraité. Cette méthode, parfois décriée, est celle que nous voyons systématiquement dans les deals de PME.
Elle est plus complexe que ses détracteurs ne le laissent supposer, car on va se poser deux questions essentielles : Quel résultat prendre en compte ? Quel multiple retenir ?
On l’a vu, le résultat à prendre en compte est le résultat retraité (en fonction du diagnostic), sur trois ans la plupart du temps. Il s’agira donc, à travers les retraitements de déterminer la capacité bénéficiaire normative de l’entreprise. Les agrégats de résultat les plus souvent retenus sont l’EBE ou le REX. Nous avons tendance à préférer le REX car la dotation aux amortissements pèse sur la rentabilité de l’entreprise de façon permanente et beaucoup d’investissements ont vocation à être renouvelés.
A travers la prise en compte du résultat sur plusieurs années on appréciera la récurrence du résultat et la capacité de l’entreprise à renouveler ce résultat. Avec le diagnostic on combinera analyse du résultat passé et anticipation du marché de l’entreprise dans les années à venir. Il n’est évidement pas question de regarder uniquement dans le rétroviseur.
Le choix du multiple est plus subjectif. Il s’appuiera sur des pratiques de marché de la transmission, sur des pratiques sectorielles, sur des informations fournies par des bases de données spécialisées. Il est aussi fonction du résultat du diagnostic. Un bon diagnostic donnera un multiple plus élevé. On retiendra généralement deux multiples pour avoir un intervalle de valeurs. L’évaluation est un exercice subjectif, il s’agit d’approcher au mieux la valeur de marché. Certaines entreprises susciteront plus d’appétence que d’autres. C’est le rôle du conseil de repérer ce type d’entreprise et d’en tenir compte dans le multiple qui sera plus élevé. Cette approche ne peut pas être faite par les logiciels d’évaluation qui ne fournissent qu’une valeur technique (souvent discutable) et pas une valeur de marché.
Quant à la prise en compte de la trésorerie nous prenons généralement la trésorerie excédentaire, c’est-à-dire la trésorerie qui est en permanence dans l’entreprise et pas uniquement celle apparaissant à la date de clôture ou à la date du closing.
Le niveau de trésorerie à prendre en compte pour l’évaluation est bien souvent un des sujets les plus animés dans les discussions entre acheteurs et vendeurs. Attention aux logiciels d’évaluation qui prennent en compte la trésorerie à la date de clôture sans distinguer son niveau permanent tout au long de l’exercice.
L’évaluation n’est pas une science exacte. On entend souvent dire qu’une entreprise vaut ce que quelqu’un est prêt à la payer. Mais personne n’est prêt à payer ce qui n’est pas le juste prix. Et personne n’est prêt à payer ce qui n’est pas finançable. La valeur des titres doit être finançable.
Pour nous assurer du réalisme de notre évaluation nous montons un plan de financement intégrant la valeur des titres financée avec 30% d’apport. Un résultat prévisionnel réaliste, intégrant une rémunération normale pour un repreneur, permet-il de rembourser sur 7 ans l’emprunt contracté ? On peut également le faire autrement : Compte tenu de la capacité bénéficiaire prévisionnelle réaliste de l’entreprise, quel emprunt peut-on contracter et donc quel apport est nécessaire ? Nous voyons, quand nous sommes côté acheteur, de nombreux dossiers qui n’aboutissent pas car le pourcentage d’apport nécessaire est trop élevé. Le rôle du conseil est de sensibiliser le cédant sur la nécessité d’avoir un prix finançable. On entend parfois dire que « l’apport c’est le problème de l’acheteur ». Quand c’est le problème de plusieurs acheteurs, ça devient le problème du vendeur.
Cependant l’évaluation dans le cadre d’une cession n’est pas qu’un exercice technique. C’est une étape de la négociation à venir et du choix du profil des acquéreurs potentiels.
C’est également un travail d’équilibriste.
Evaluer trop bas, c’est prendre le risque que son client ne soit pas rémunéré pour le travail qu’il a fourni pour son entreprise.
Evaluer trop haut, c’est prendre le risque que l’entreprise ne se vende pas et qu’elle perde en crédibilité vis-à-vis des acquéreurs potentiels.
Le rôle du conseil sera de considérer l’évaluation comme un des maillons de la chaine parvenant au succès de l’opération de cession.
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